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Mea culpa, mea massima culpa

Je me bats la coulpe, me flagelle moralement, me mortifie et tout le toutim : je n'ai plus écrit une seule ligne depuis une semaine. Le rouge de la honte monte à mes joues et pour me faire pardonner, je vous poste in extenso, tout le chapitre un de "la longue journée de Gabriel Effléor", de toute façon, je n'en vendrai que 300 exemplaires, donc...

"Chapitre 1 – Le téléphone sonne dans la pièce où l’enfant dort.

 

 

A peine le téléphone raccroché, Gabriel Effleor eut le pressentiment des bouleversements qui allaient secouer sa vie. Il resta longtemps la main posée sur le combiné, geste suspendu, respiration contenue. Son appartement parut se replier sur lui-même, comme aspiré par l’appareil. Dehors, un chat psychopathe en attaquait un autre, un enfant criait des injures qu’il ne comprenait pas et la pluie rechignait à tomber. Dans la pièce contiguë, sa femme, Elle, caressait doucement leur nouveau-né, Matteo, qui possédait l’agaçante manie de peu dormir et de trop pleurer. Seuls les massages de sa mère parvenaient à le calmer. Enrobée de la musique violemment anachronique d’un Eminem à mille lieues des comptines enfantines, Elle passait des heures à frotter de la paume de la main le dos de l’enfant couché sur ses genoux. 

 

Le tableau ravissant aurait du combler Gabriel, pourtant il n’y prêtait aucune attention. Il revoyait son père, Malféans Effleor, lui prodiguer des conseils que, voici quelques minutes, il n’avait pas un instant hésité à dédaigner. « S’il te contacte un jour, fuis-le. Refuse tout rapport avec ce monstre. Il ne peut t’apporter que malheurs et désillusions. Si ma pauvre mère, Paix à son âme, était encore de ce monde, elle-même le renierait. » Les paroles exactes de son père s’imprimaient dans son esprit avec la même évidence que lorsque celui-ci les avait prononcées dix ans auparavant, peu avant sa mort. Malgré cette mise en garde, Gabriel ne venait-il pas de donner rendez-vous à celui qu’il aurait dû fuir ? Malféans devait se retourner dans sa tombe, des années d’éducation balayées d’un revers de la main. Peu importe, il n’avait jamais compris la haine que son père vouait à son oncle. Ces bisbrouilles familiales l’insupportaient. Si Malféans avait, de son vivant, ressenti quelques rancœurs pour son frère jumeau, elles l’avaient accompagné dans l’au-delà et pourrissaient au côté de leur victime. Pourquoi refuser de rencontrer un vieil homme que, sans doute, la certitude d’une disparition prochaine jetait dans les bras de la nostalgie ? Quelle autre raison pourrait avoir cet appel ? Quel neveu aurait l’indécence d’éconduire un parent mourant ?

 

De toute façon, Gabriel avait-il réellement le choix ? Un journaliste indépendant, qui plus est un journaliste indépendant criblé de dettes et assailli par une cohorte d’huissiers aux dents acérées, ne pouvait se permettre de rater pareille occasion : interviewer le roi de la génétique, l’homme qui avait révolutionné notre vision du monde, celui qui, alors que tous les scientifiques refusaient, plus par peur de l’opprobre collégiale que par véritable décence déontologique, de s’engouffrer dans un processus à l’issue incertaine, eut le courage de pratiquer et d’anoblir l’art du clonage. Quelfelec Effleor était celui-là. Prix Nobel 2007, dernier spécialiste d’une science aujourd’hui bannie pour ses nombreux dérapages et, Gabriel l’appendrait bientôt, docteur Frankenstein du nouveau millénaire.

 

         Matteo ne pleurait plus, l’ange s’était assoupi. Gabriel se demandait comment un bébé pouvait dormir dans un tel vacarme. La platine crachait toute la haine qu’un rappeur fortuné vouait au système capitaliste, les murs tremblaient de terreur, les voisins se suicidaient et Gabriel ne comprenait pas l’intérêt qu’Elle vouait à ce « bruit ». Dieu seul connaît les conséquences qu’aura la sale manie de sa femme sur les capacités auditives de leur rejeton ; même si Gabriel le savait : Dieu avait beau les connaître, Il s’en moquait éperdument.

 

         Gabriel se leva rejoindre sa femme. Il passa la main dans les cheveux vénitiens de celle qui partageait sa vie depuis trois ans. Elle emprisonna la main de son époux entre joue et épaule, souffla délicatement, déposa un baiser. Nul doute : Elle était celle qu’il aimait, pareille à la femme qu’il avait si longtemps imaginée, belle, souriante, d’une bonté honteuse, qui emporte les rêves là où le soleil regarde les hommes avec tendresse. En sa présence, Gabriel sentait dans sa chair les accords d’une guitare, il entendait Laurence Olivier déclamer Shakespeare,   il regardait Van Gogh peindre un champ de tournesol. Pourquoi, se demandait-il, l’ai-je trompée ? Il retira sa main. Matteo respirait bruyamment.

 

         Ses pensées s’échouèrent à nouveau à portée de son oncle. Qui était-il réellement ? Nul ne le savait. Il vivait reclus dans une grande maison aux abords de la ville, un véritable château acheté avec la fortune que lui avait donnée une meute de riches excentriques appâtés par de ridicules promesses d’éternité. Générations après générations de journalistes avaient du renoncer, après moult tentatives, à l’approcher, tant Quelfelec Effleor rivalisait avec les plus rusés des courants d’air dans l’art de passer inaperçu. Il avait poussé le vice – ou la vertu - de la discrétion jusqu’à exiger du comité Nobel qu’il lui envoie son prix par la poste. Ce qui fut fait. Par courrier express. Le prix se perdit et, depuis lors, il trône sur la cheminée d’une ostéopathe du Kentucky. 

 

         Gabriel se demandait si Quelfelec ressemblait toujours à la frêle tige qui éprouvait tant de difficultés à le soulever. Il conservait peu de souvenirs de son oncle, de rares filaments, des éclairs d’images volés à l’oubli : une voiture délabrée, une boucle de ceinture en forme d’atome, le geste d’un doigt porté au lobe de l’oreille pour ponctuer le sommet de certaines phrases, un poireau immonde à la base du cou, près de la racine des cheveux, une femme sublime et blonde, collée à ses basques. A sa décharge, il ne l’avait plus vu depuis des lustres. Moins par crainte des mises en garde de son père que pour la simple raison qu’il n’en avait jamais perçu l’utilité. Il ne l’avait pas perdu de vue, il l’avait perdu d’envie.

 

         Sa femme s’était couchée sans le prévenir. Perdu dans ses pensées, il ne l’avait pas vue se lever, mettre Matteo dans son berceau, se déshabiller dans le salon comme elle en avait pris l’habitude lorsqu’Elle et lui partageaient un minuscule appartement dans les quartiers mal famés de la ville, abandonner ses vêtements sur le divan et, nue, se glisser dans le lit.     

 

Gabriel alla prendre une douche. Quand il passa la main sur la glace au-dessus de l’évier, pour en essuyer la buée, il vit se refléter dans le miroir le visage de Gaëlle. Une larme lui barrait la joue, à l’image de celle qui creusait un sillon sur le menton de Gabriel. Il imaginait sa vie et frémit à cette  perspective. Elle non plus, il ne l’avait plus vue depuis des années. Pourquoi se souvenait-il de sa sœur le jour même où Quelfelec était réapparu ? Y avait-il un lien ? Etait-ce là une nouvelle mise en garde ? Non ! Gabriel conclut à un fait du hasard car, après tout, sa famille était depuis longtemps un champ de bataille, où des hordes de barbares s’amusaient à l’idée de têtes coupées, de membres arrachés et de tripes exposées, tandis que des généraux ventrus levaient le petit doigt pour mieux profiter de leur tassé de thé. Que pouvait-il lui arriver qui ne se soit déjà terminé en catastrophes ? Sa vie pouvait-elle dégringoler plus bas ? Gabriel en était persuadé : demain, l’entretien terminé, il rirait de ces ridicules appréhensions et sa vie continuera, pesante de banalités.

 

         Dans la chambre, Elle dormait déjà. Gabriel se coucha et l’embrassa du bout des lèvres, plus d’ardeur l’eut réveillée. Il jeta un dernier coup d’œil sur le réveil ; l’heure rougissait : minuit moins une. Dans quelques minutes, Gabriel s’endormirait, quand le glas aura sonné sur la première journée du reste de sa vie."

 

Serge

 

Ecrit par aldagor, le Vendredi 16 Mai 2003, 09:33 dans la rubrique "Premiers Pas".

Commentaires :

QasU
QasU
16-05-03 à 10:47

Latin

Rien a voir mais je crois que c'est maxima